Jacques Riousse était-il un artiste brut ?

Anne Zali

Jacques Riousse était-il un artiste brut? Brut,  au sens où le définit Jean-Michel Bouhours citant Dubuffet: « un individu dont les humeurs et impressions sont livrées crues avec leurs odeurs bien vives, comme on mange un hareng sans aucunement le cuire… », brut dans sa posture « refermée sur elle-même, quasi-autistique vis-à-vis d’un monde aliénant, dont il se protège grâce à un système symbolique personnel. »

Certes, il n’appartient à aucune école, aucun courant artistique, il échappe à toute formation académique et c’est avec une souveraine liberté qu’il puise son inspiration tour à tour, au gré des matériaux qu’il utilise, dans les assemblages surréalistes d’un Picasso, les fantaisies d’un Miro, le trait expressionniste d’un Rouault, le goût pour la récupération d’un Bruce Corner ou d’un Rauschenberg. Mais sa vraie, son unique et sauvage passion va aux matériaux mêmes, pierre, bois, coraux, débris, éclats de verre, objets de récupération, porte-manteaux, semelles, brûleurs, ressorts, carburateurs, il n’est rien qui ne trouve grâce à ses yeux, rien qui entre ses mains ne se transforme et ne devienne enfant d’une Création nouvelle, turbulence retrouvée, jaillissement de forme, émergence d’un visage échappant parfois à la classification des règnes.

Comme si, dans une vision très proche de Teilhard de Cardin, il se sentait convoqué à cet endroit-là : oeuvrer sans fin à la spiritualisation de la matière, ouvrir son regard à ces chaînes de transfiguration en germe. A travers ses sculptures se lève la clameur d’un peuple de vivants, remontés des abîmes.

Peut-on vraiment ici parler d’un artiste brut ? On a plutôt envie de saluer l’indépendance insolente d’un artiste soucieux de chercher, au plus près de sa vérité, à dire ce qu’il entend des halètements, des soulèvements, des pulsations, des souffles, des raucités, des tremblements d’un monde intranquille , proche à son oreille de Voyant?

Artiste brut, je ne crois pas, inclassable plutôt, définitivement inclassable et c’est bien à l’endroit de cette liberté solaire qu’il continue de nous faire signe, de lancer vers nous cette protestation sauvage.

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